La révolution commencera sous les aisselles
20minutes.fr Publié le 21 juin 2013
Les Chinoises ont trouvé un nouveau moyen pour éloigner les pervers: le collant poilu. Que ce collant existe réellement ou qu’il soit une légende urbaine, les commentaires que cette info a généré dans le monde entier sont révélateurs: le poil aux pattes, c’est pas sexy. Et le poil tout court, par extension.
Aisselles, torses de messieurs, parties génitales, rasez vite cette toison que je ne saurai voir. Mais pourquoi tant de haine envers ces pauvres poils? «Cette phobie du poil est construite sur l’idée qu’un être humain qui contrôle ses poils est mieux considéré socialement», estime Stéphane Héas, maître de conférences à l’université Rennes 2 et co-créateur de la Société Française en Sciences Humaines sur la Peau.
Premier argument: le poil, c’est sale. Alors que le morpion va bientôt être classé dans la liste rouge des espèces menacées, les poils représenteraient un nid douillet pour les parasites en tout genre. «Dans nos sociétés hygiénistes qui vont vers l’aseptisé, le net, le clean, le poil dénote un peu la saleté car il retient la sueur, l’urine et autres fluides», explique Christian Bromberger, professeur en ethnologie à l’université d’Aix-Marseille et auteur de Trichologiques. Une anthropologie des cheveux et des poils.
Second argument: le poil, c’est pour les animaux. «L’épilation est liée à une idée un peu bizarre de désanimalisation, on serait plus humain sans poils qu’avec», explique Stéphane Héas. Pour nous éloigner de nos cousins primates, nous n’aurions donc pas trouvé mieux que de nous raser. Si le torse velu des hommes, signe de virilité et de puissance sexuelle, peut encore attirer ces dames, elles sont toutefois de moins en moins nombreuses à aimer le contact des poils: une étude réalisée en Slovaquie et en Turquie, la «ceinture velue de l’Europe», en 2012 révélait que seules 21% des femmes aimaient les poitrines masculines garnies. «C’est surtout un refus d’admettre le corps, le caractère charnel, l’animalité, estime Jean da Silva, auteur de Du velu au lisse… et professeur en arts plastiques à l’université Paris I. Le corps est soumis à un regard esthétique donc entretenu». Maîtrise tes poils, maîtrise ton poids, mets de la crème anti-rides et mange cinq fruits et légumes par jour: chacun est responsable de son apparence et cette «responsabilisation intime et intimée» nous pousse à nous conformer à ce que la société nous impose comme image du beau, estime Stéphane Héas.
Cette idée gagne également nos parties intimes: l’épilation intégrale du pubis se banalise chez les femmes, certaines affirmant que cela décuplerait leurs sensations pendant les relations sexuelles. «On peut y voir la revendication d’une certaine maitrise de leur sexualité par les femmes, juge Jean Da Silva. C’est une fétichisation: on s’approprie son corps en tant que création». Sauf que phéromonologiquement parlant, un corps qui ressemble à celui d’une poupée ou d’une fillette sera beaucoup moins attirant pour le mâle: «Le poil est un médiateur: il donne beaucoup d’informations via les odeurs sur les parties importantes du corps, tête, pubis,…» «Une femme peut être belle même avec des poils!», s’exclame pour sa part Anne-Charlotte Desruelles, fondatrice de la marque de sex-toys et de lingerie vendus à domicile Soft Paris. Pour elle, l’épilation est une «obligation stéréotypée et imposée par notre société» dont toutes les femmes devraient avoir le choix de s’affranchir.
Et si finalement, s’épiler était l’inverse de sexy? C’est l’avis des membres du Mouvement international pour une écologie libidinale (Miel), dont Jocelyn Patinel fait partie. «Le poil est symboliquement et biologiquement lié à la sexualité. La libération de la femme, qui leur a permis de dévoiler plus de corps, s’est faite néanmoins sous la condition d’ôter toute connotation sexuelle. On a montré son corps, mais en le désexualisant.» Pour lui, s’épiler, c’est «rhabiller la peau» et surtout accepter «l’aliénation à la norme»: «Ne pas s’épiler peut être vu comme un acte de résistance», conclut-il. La révolution commencera sous les aisselles.