Pour combler des trous, dissimuler des cicatrices ou se construire une barbe, les greffes de barbe connaissent une popularité grandissante. Rencontre avec deux greffés et le sociologue Stéphane Héas. DÉCRYPTAGE PAR MORGANE GIULIANI PUBLIÉ LE 04/05/2016 À 18:04
« Le déclic a eu lieu lorsque, dans le cadre de mon travail, quelqu’un m’a appelé ‘jeune homme’ pour la énième fois. Dans la colère, j’ai pris mon téléphone, et ai pris rendez-vous. Plus rien ne pouvait m’arrêter », raconte Kevin, 31 ans, à RTL2.fr. Cet International Business Manager au Luxembourg fait référence à sa greffe de barbe, réalisée début 2016 à la clinique DHI, à Paris.
Kevin est loin d’être le seul. Même s’il n’existe pas de statistiques officielles, la clinique DHI, située dans le 17e arrondissement de la capitale, constate une demande qui augmente dans de « très grandes proportions » ces 3 dernières années. La direction affirme à RTL2.fr qu’elle assure le plus grand nombre de greffes de barbe en France à ce jour. « 4 à 5 par semaine ». La plupart des patients concernés ont entre 25 et 35 ans.
Une intervention à l’aiguille
Pour accepter de subir une greffe de barbe, il ne faut pas avoir peur des aiguilles. La méthode la plus usitée est d’utiliser des aiguilles fendues, dans lesquelles on place les follicules prélevées à l’arrière du crâne. Puis on réinjecte le follicule sans faire de trou, dans la joue. Le tout, sousanesthésie locale, avec jusqu’à 2 jours d’intervention maximum. La clinique DHI a réalisé ce spot pour montrer le déroulé d’une intervention.
Le but ? « Avoir la possibilité de se raser si on en a envie. » Il ne faut pas non plus être près de ses sous. Une greffe de barbe, calculée en fonction du nombre de cheveux greffés, coûte entre 2.900 et 9.900 euros, du moins chez DHI. Cette intervention n’est pas remboursée par la sécurité sociale. Avant l’opération, un bilan doit être fait au niveau de la densité capillaire à l’arrière du crâne, pour éviter ce genre de situation.
Une recherche esthétique
Pourquoi ces hommes décident-ils de passer sous l’aiguille ? La plupart du temps, il s’agit decombler quelques trous, afin d’avoir « un effet homogène et naturel », ou cacher des cicatrices. C’était le cas pour Yves, qui s’est fait opérer en janvier 2016. « Je me suis rendu compte que depuis une dizaine d’années, je ne pouvais pas porter la barbe. Je m’arrangeais toujours à laisser les côtés bien rasés, explique ce chef de secteur de 40 ans au téléphone à RTL2.fr. C’est quand même plus joli quand on a une barbe bien fournie. J’avais une certaine forme de complexe, que je dissimulais en me rasant. »
Yves évoque « des moments très difficiles » dans sa vie qui l’ont amené à sauter le pas : « Durant beaucoup de temps, je ne me suis pas consacré à moi, j’étais à fond pour ma famille, j’ai subi un divorce et d’autres épreuves qui m’ont beaucoup affecté. C’est dans les moments de creux qu’on se dit qu’il faut penser à soi.«
La barbe est devenue un véritable accessoire de mode pour les hommes.
Pour d’autres, il s’agit de (re)construire leur barbe à partir de zéro. Comme Kevin, qui n’avait quasiment pas de pilosité sur les joues. Après avoir essayé « pendant des années » de faire pousser sa barbe à l’aide de médicaments ou de lotions, il s’est tourné vers la greffe. « Clairement, la barbe est devenue un véritable accessoire de mode pour les hommes, au même titre que les multiples coiffures que peuvent se faire les filles grâce à leurs cheveux longs, Nous pouvons désormais changer de tête avec une barbe plus ou moins fournie, un bouc, etc. C’est un moyen, pour nous les hommes, de changer un peu de tête, de style.«
Yves partage cet avis, et affirme qu’il a eu recours à une greffe pour lui-même, tout comme une femme se maquille pour elle-même. « On ne fait pas cette intervention pour les autres mais pour soi, affirme-t-il à RTL2.fr. Je suis un homme soucieux de mon image et de mon reflet, de ce qui me plaît ou pas. »
La barbe, obsession collective
Si les hommes ont à ce jour plus de possibilités vis-à-vis de leur pilosité faciale, ce n’est qu’une étape dans l’histoire compliquée que les sociétés occidentales entretiennent avec la barbe. Depuis quelques années, la barbe est (à nouveau) partout. Dans la mode, la publicité, le cinéma, ou sur le visage des hommes politiques ou personnalités médiatiques. Célébrée dans les années 60 et 70, en plein « flower power » et triomphe de la culture hippie, elle avait peu à peu disparu avecle culte du métrosexuel des années 90 et 2000, l’homme rasé de près et à la virilité discrète. Avec, entre autres, la mode hipster, qui concerne plutôt les 25-35 ans branchés et urbains, la barbe retrouve ses lettres de noblesse. La profession de barbier (re)fleurit, et les hommes cultivent leur barbe comme un petit potager.
« C’est complexe parce qu’il y a des vagues de retour du poil et de la barbe et du dégoût pilleux, analyse Stéphane Héas, sociologue à l’université Rennes-II et vice-président de la Société Française en Sciences Humaines sur la Peau. Certaines enquêtes montrent qu’en 1999/2000, il y avait un retour du poil, alors qu’à cette période, le métrosexuel était valorisé. C’est comme si dans notre société, il y avait une sorte d’ambivalence entre le rejet du poil sur le corps et son attrait.«
Il y a toujours des conflits socio-culturels concernant le poil.
Selon lui, le retour de la barbe ne peut pas se résumer à un attrait pour la culture « hipster » : « Quand je fais des entretiens avec des barbus, la plupart ne se revendiquent pas du tout hipsters. Pour eux, c’est une mode qui dénature la barbe. Il y a toujours des conflits socio-culturels concernant le poil. » Même constat pour la clinique DHI : « La barbe, c’est un mode de vie. Elle peut être portée au bureau par des hommes de tous milieux, ça habille le visage. »
Une injonction à être viril
Kevin n’est d’ailleurs pas dupe. Il a conscience que son envie d’une vraie barbe n’était pas qu’esthétique : « La puberté n’a pas été très compliquée car il n’est pas question d’avoir de barbe à cette période, se rappelle-t-il. En revanche, une fois la vingtaine, on commence à s’apercevoir des différences de pilosité entre amis, ceux qui deviennent des ‘hommes’ et ceux qui restent bloqués à l’adolescence. Cela crée forcément un sentiment d’infériorité, et qui peut empêcher de s’affirmer face aux autres. » Comme dit au début de l’article, c’est une « énième » remarque d’un collègue qui l’a décidé à subir une greffe. Depuis, il assure que le regard de ses collègues n’a pas changé, mais qu’il a « plus confiance » en lui-même.
La greffe de barbe est présentée comme une liberté mais en fait c’est une réponse à l’injonction d’être viril.
« Dans le jargon sociologique, on parle de coûts de la masculinité, c’est-à-dire, une injonction très forte à être viril, masculin dominant, à être actif, dynamique, résume Stéphane Héas. Ces injonctions sont très puissantes. Une personne qui n’a pas de barbe fournie à 25 ans pourrait tomber facilement dans une catégorie moins valorisée. » « La greffe de barbe est présentée comme une liberté mais en fait c’est une réponse à l’injonction d’être viril », constate le sociologue. Elle est présentée par les médecins comme un traitement techniquement facile, j’aurais tendance à être beaucoup plus prudent. Ces micro-greffes ne sont pas anodines.«
Selon Stéphane Héas, ce retour en force de la barbe ne concerne que certaines catégories socio-professionnelles : « Il y a des mlilieux professionnels où c’est très valorisé d’être barbu. Il suffit de regarder les hommes politiques, les journalistes à la télévision, qui arborent des barbes alors qu’avant ils étaient rasés de près. Ça concerne les professions visibles, prestigieuses.«
Des modèles identificatoires
Cette injonction à la virilité pourrait aussi se doubler d’une référence à des figures masculines : « Porter une barbe, c’est toujours une revendication. On peut penser que c’est juste viril, mais en général, c’est plus profond que cela », avance Stéphane Héas. Actuellement, il recueille les témoignages de nombreux hommes barbus : « Je cherche à savoir s’il y a des modèles identificatoires. Très souvent, les barbus me parlent d’un grand-père avec une belle moustache, par exemple. Dans le sport, on voit des sportifs barbus. Il y a des valorisations différenciées de la barbe. »
De son côté, Kevin ne renie pas l’influence d’une de ses idoles : « J’ai toujours eu une admiration pour David Beckham, qui est pour moi un modèle sportif, mais aussi, sur le plan de la gestion de son image. Je confesse que cela a forcément un peu influencé ma décision. »
La barbe est-elle partie pour rester ? La clinique DHI signale des cas d’hommes s’étant faits épiler la barbe au laser il y a quelques années, qui reviennent pour une greffe de barbe, espérant « retrouver une barbe plus naturelle ». Ce va-et-vient laisse Stéphane Héas penser que le règne de la pilosité faciale prendra bientôt fin : « Je peux déjà vous pronostiquer qu’à partir du moment où il y aura beaucoup de barbus, on retournera à une situation inverse. » Messieurs, affûtez vos rasoirs.
Le but ? « Avoir la possibilité de se raser si on en a envie. » Il ne faut pas non plus être près de ses sous. Une greffe de barbe, calculée en fonction du nombre de cheveux greffés, coûte entre 2.900 et 9.900 euros, du moins chez DHI. Cette intervention n’est pas remboursée par la sécurité sociale. Avant l’opération, un bilan doit être fait au niveau de la densité capillaire à l’arrière du crâne, pour éviter ce genre de situation.