20minutes | 22/11/18 à 08h05 — Mis à jour le 22/11/18 à 08h05 par Oihana Gabriel
TENDANCE Alors que de plus en plus d’applications permettent de scanner vos cosmétiques pour traquer les composants nocifs, «20 Minutes» s’interroge sur leur fiabilité et leur efficacité…
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Il y a de quoi en perdre son latin. Etudier à la loupe les ingrédients de ses produits cosmétiques pour éviter de se crémer pendant toute sa grossesse avec des nanoparticules cancérogènes ou d’étaler sur les fesses de son bébé des perturbateurs endocriniens demande beaucoup de temps, d’énergie et de courage. Pour nous y aider, une panoplie d’applications se propose de nous simplifier la tâche depuis quelques mois, en traduisant les codes-barres en couleurs et notes. Si cette vigilance accrue des consommateurs devrait améliorer leur santé, certaines informations contradictoires de ces applis, pas toujours fiables et peu personnalisées, posent tout de même problème. Petit aperçu des questions qu’elles posent.
A quoi servent ces applis ?
A l’heure où la défiance a gagné des pans entiers de notre économie (médicaments, voitures, banques, alimentation…), le marché des cosmétiques ne fait pas exception, et attise les craintes des consommateurs pour leur santé, mais aussi pour l’environnement.
Dernière illustration de cette inquiétude : des milliers de Français ont désormais dans leur smartphone une de ces nouvelles applications qui permettent en quelques clics de savoir si dentifrices, savons et crèmes augmentent leur risque de tomber malade. « La plupart d’entre nous ne sait pas ce qu’on met sur notre peau, puisque tout est écrit en latin et en anglais, souligne Stéphane Héas, sociologue et directeur de publication de Lapeaulogie. Ces applications qui traduisent une formulation chimique en langage courant permettent de faire un premier tri. »
Yuka, l’application qui vous aide à cuisiner sain, s’est diversifiée cet été en proposant une déclinaison cosmétique, qui arrive fin novembre sur Android. Avant elle, Inci Beauty s’était déjà positionnée sur le créneau. Et l’association UFC Que Choisir propose QuelCosmetic, une application téléchargée par 800.000 consommateurs depuis mars et peaufinée par une deuxième version depuis un mois.
Ingrédients indésirables dans les #cosmétiques : la toxicité du phénoxyéthanol pour les tout-petits confirmée par @ansm. https://t.co/oi7O67haPg Les produits pour bébés qui en contiennent et les autres sont sur notre appli Quelcosmetic
— Fabienne Maleysson (@FMaleysson) 28 mai 2018
D’autres applications sont venues enrichir l’offre. Mais, petit conseil, mieux vaut choisir une de ces applications et s’y tenir. Car elles n’ont pas forcément le même jugement sur vos produits de beauté…
Quelle fiabilité pour ces applis ?
Le message devait être simplifié, mais les composants définis comme dangereux ne sont pas les mêmes selon les applis. Une même crème pour les mains ou dentifrice pour enfant serait à mettre à la poubelle selon Yuka, alors qu’elle recueille le feu vert de QuelCosmetic. « Sur les applis, il y a un joyeux mélange entre le risque toxique pour l’humain et le risque environnemental », remarque Annick Barbaud, chef de service de dermatologie et allergologie à l’hôpital Tenon.
Autre problème, les applications ne prennent pas en compte la pratique : un shampoing apposé 30 secondes et rincé n’aura pas la même toxicité qu’une crème pour le corps appliquée chaque jour du cou aux talons… « On ne peut pas tout baser sur la présence ou l’absence d’une molécule », critique la dermatologue.
Comment sont définis ces notes et codes couleur ? « On se base sur les sources scientifiques reconnues sur ces questions : l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), la TEDX list sur l’aspect cancérigène, les avis du Centre international de recherche sur le cancer (Circ) », répond Julie Chapon, co-fondatrice de Yuka. Dans l’application disponible fin novembre, on pourra afficher en dessous de chaque ingrédient une description et la liste des sources scientifiques. »
Même volonté de se montrer fiable du côté de l’UFC-Que Choisir, association de défenses des consommateurs connue pour ses comparatifs de produits : « notre appli s’appuie exclusivement sur les études scientifiques de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), le comité scientifique pour la sécurité des consommateurs européens, le Circ, précise Olivier Andrault, chargé de mission à l’UFC-Que Choisir. C’est vrai qu’il y a des différences entre applications. Par exemple, nous ne prenons pas en compte les sels d’aluminium dans la nôtre, car il n’y a pas de démonstration scientifique de sa dangerosité. » Autre politique chez Yuka, qui « applique le principe de précaution, quand il n’y a pas de consensus sur un composant, en fonction de ce qu’on a comme information, on le met en orange ou en jaune. »
Une confusion qui n’a pas échappé à l’industrie de la beauté, visiblement inquiétée par cet engouement pour les applis cosmétiques. Pour les professionnels du secteur, la fiabilité de ces informations est encore à prouver. « Ces applications identifient les composants en s’appuyant sur le code-barres, souligne Anne Dux, directrice des affaires scientifiques et réglementaires de Febea, syndicat du secteur cosmétique. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de relation parfaite, car on ne change pas de code-barres quand on fait évoluer la formule d’un produit. L’autre problème, c’est qu’elles s’appuient sur des bases de données de composants pas forcément à jour. Yuka se base ainsi sur Open beauty facts, site où n’importe quel citoyen peut saisir la composition d’un produit cosmétique. »
Une bonne nouvelle pour la santé des Français ?
En partie. D’abord parce que ces applications « aident le consommateur à avoir un contre-pouvoir », résume le sociologue Stéphane Héas. Dans un contexte économique complexe, où rares sont ceux qui savent qui produit quoi et où, « ces associations et applications peuvent jouer le rôle de vigilance, si ce n’est d’alerte ». « Il faut agir ensemble pour demander à l’industrie cosmétique de bannir certaines molécules, ce qui a été fait par exemple pour le MIT, une susbtance allergisante », renchérit Annick Barbaud,, chef de service de dermatologie et allergologie à l’hôpital Tenon.
« Ces applis participent aussi à combler des déficits : on manque déjà de dermatologues et c’est une spécialité qui attire peu, argumente le sociologue. Donc, le consommateur est censé pouvoir s’y retrouver seul dans la jungle des additifs, conservateurs… » Il demeure toutefois difficile de déterminer si la santé en sera impactée à long terme par les « bonnes pratiques » inspirées par ces applis car dans les faits, ces dernières sont désinstallées au bout de quelques mois.
« On pourrait avoir la naïve impression que de consommateur, on devient consomm’acteur. Sauf que les gens doutent de l’industrie, mais ne remettent pas en cause les notes données par l’algorithme de l’appli. Qui devient un nouveau juge de paix portatif », nuance enfin Stéphane Héas.
L’utilisation de ces applis comporte-t-elle des risques ?
Principal risque de ces applications : A trop inquiéter, on pourrait encourager des conduites inadéquates ou même développer une « cosmétophobie » sans nuance. « Certains patients me disent, je ne veux plus de crème, sinon je risque d’avoir un cancer, met en garde la dermatologue. Mais certains en ont besoin ! On peut diminuer de 50 % les crises d’eczéma avec certaines crèmes. Certains composants peuvent être nocifs sur une peau irritée ou sur un bébé, mais ne posent pas de problème chez un adulte. »
L’autre danger réside dans la tentation de faire soi-même tous ses cosmétiques. « Comme il y a des produits dangereux, certains veulent créer leurs cosmétiques eux-mêmes, avec des huiles essentielles, poursuit Annick Barbaud. Mais quand un patient augmente la concentration de telle huile essentielle dans l’espoir d’avoir moins de rides, il y a des risques d’allergies. » Attention aussi à ne pas brouiller les messages de prévention : « certaines applications assurent que les filtres des crèmes solaires sont dangereux pour la santé, mais il faut se protéger du soleil », pointe Anne Dux de la Febea. « A choisir, je préfère les crèmes solaires au cancer de la peau ! », renchérit la dermatologue.
Comment personnaliser les recommandations d’un algorithme ?
Conseiller un même produit pour tous pose problème. En effet, un bébé souffrant d’eczéma n’a pas les mêmes besoins qu’un ado qui a de l’acné… D’où le besoin pour ces applications d’aller vers plus de personnalisation.
La nouvelle version de Quelcosmetic propose d’ailleurs de s’identifier selon quatre profils : femme enceinte, bébé, enfant, adolescent. « On peut ajouter des notifications si vous êtes allergique au parfum », ajoute Olivier Andrault. Personnaliser fait aussi partie des sujets en réflexion, chez Yuka, notamment sur le pouvoir d’irritation. « Mais il faut garder en tête qu’un ingrédient cancérogène ou un perturbateur endocrinien est mauvais pour tout le monde ! »